
L’échec de l’achat de la maison de Salvador Allende ébranle le gouvernement chilien

Lorsque le gouvernement chilien a voulu acheter la maison de l'ex-président Salvador Allende (1970-1973) pour en faire un musée, il n'imaginait pas la tempête politique qu'il allait déclencher.
Deux ministres ont fait les frais de cette opération avortée qui a aussi coûté son siège de sénatrice à la fille de l'ancien dirigeant socialiste.
Elle a également contraint le président Gabriel Boric à répondre devant le ministère public de ce qui semblait, à l'origine, n'être qu'une acquisition d'intérêt public.
- Quelle est la cause du conflit ? -
Gabriel Boric, admirateur déclaré d'Allende -arrivé au pouvoir par les urnes en pleine guerre froide avant de se suicider lors du coup d'Etat du général Augusto Pinochet le 11 septembre 1973- a signé fin décembre un décret autorisant l'achat de la maison familiale de l'ancien président à Santiago.
Mais quelques jours plus tard, la transaction a dû être annulée : la Constitution interdit aux ministres et aux parlementaires de conclure des contrats avec l'État, ce qui a été ignoré par une douzaine d'avocats du gouvernement.
- Qu'est-ce qui a empêché la vente ? -
Parmi les héritiers de la maison figurent la fille du dirigeant déchu, la sénatrice Isabel Allende, et sa petite-fille Maya Fernandez, alors ministre de la Défense.
La Constitution chilienne prévoit la révocation des ministres et des parlementaires qui concluent des contrats avec l'État.
Sur cette base, les parlementaires de l'opposition ont saisi la Cour constitutionnelle pour demander leur destitution.
"Je n'ai jamais utilisé ma fonction à des fins personnelles", a assuré Mme Allende, la voix émue, mardi lors d'un discours d'adieu au Sénat.
La sénatrice, âgée de 80 ans, a ainsi mis fin à une carrière parlementaire de trente ans.
Entre-temps, la procédure visant Maya Fernandez a été abandonnée par la Cour à la suite de sa démission le 10 mars.
La ministre des Biens nationaux, Marcela Sandoval, dont le cabinet avait supervisé l'opération avortée, a elle aussi présenté sa démission.
- Quelle est la valeur de la maison ? -
La maison, estimée à un peu plus de 900.000 dollars, est située dans le quartier de classe moyenne supérieure de Providencia.
Il s'agit d'un bâtiment mitoyen en pierre et bois de deux étages, désormais isolé face à l'expansion commerciale du secteur.
La famille Allende y a vécu pendant près de vingt ans, à partir de 1953.
À l'intérieur, on peut encore voir le bureau et la bibliothèque où Salvador Allende recevait amis et personnalités politiques.
La demeure a été visité par de nombreuses personnalités politiques, dont l'ancien président français François Hollande et le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez.
- Quelles conséquences pour Boric ? -
Le président fait l'objet d'une enquête à la suite d'une plainte déposée par un avocat d'extrême droite l'accusant de fraude fiscale. Le 28 mars, il a comparu volontairement devant la justice.
Pour l'avocat constitutionnaliste Javier Couso, le président a signé le décret après avoir reçu le feu vert de ses nombreux avocats, ce qui pourrait le disculper.
Pour qu'un président puisse être mis en accusation, il doit d'abord être démis de ses fonctions.
M. Boric pourrait faire l'objet d'une procédure de destitution devant le Parlement, laquelle nécessite l'approbation des deux tiers des 50 sénateurs.
-Y aura-t-il un coût politique?-
Le scandale complique les relations au sein de coalition gouvernementale en cette année où l'unité est cruciale en vue de l'élection présidentielle de novembre, alors que l'opposition de droite est en tête dans les sondages.
Le parti socialiste auquel appartient Isabel Allende exige que la coalition de gauche du Frente Amplio qui a porté Boric au pouvoir assume également sa part de responsabilité politique dans cette opération ratée.
"L'achat de la maison d'Allende a été la plus grande erreur politique dans les relations internes du gouvernement", estime auprès de l'AFP le politologue Rodrigo Espinoza.
La Constitution empêche M. Boric de se présenter à une réélection immédiate.
S.Denis--PS