
Obligations et actions, dollar, les valeurs américaines chutent à l'unisson, une rareté

L'imposition de nouveaux droits de douane élevés par Donald Trump a amené les investisseurs à se délester massivement de tous les grands actifs américains, actions, obligations et dollar, un phénomène rare qui signale notamment une érosion de la confiance des marchés mondiaux dans les Etats-Unis.
Les obligations ne sont plus un refuge
Traditionnellement prisées des investisseurs en cas de remous sur les marchés ou dans l'économie réelle, les obligations d'Etat américaines, dont le prix évolue en sens opposé de leur taux, chutent depuis l'annonce de la vague de droits de douane du 2 avril.
"Cela ressemble à des ventes en urgence pour récupérer des liquidités", estime Thomas Urano de Sage Advisory, en particulier des fonds spéculatifs (hedge funds) mais aussi de fonds d'investissement classiques.
Mais pour Steve Sosnick, d'Interactive Brokers, un autre film se joue en parallèle sur ce marché.
"Il y a clairement une fuite des obligations américaines", dit l'analyste. "L'argent est en train de sortir du marché obligataire américain et ce, très rapidement. Ce n'est vraiment pas bon signe."
"Il y a une perte de confiance dans les dirigeants américains et les actifs américains", abonde Will Compernolle, de FHN Financial.
S'il voit des effets potentiels à long terme liés à cette dégradation de l'image des Etats-Unis sur les marchés, Will Compernolle rappelle que "les gens ont beau chercher des alternative" au dollar et aux obligations d'Etat, "aucune n'a émergé pour l'instant."
La séquence actuelle "pourrait mener à un point d'inflexion", concède-t-il, "mais nous n'y sommes pas encore".
Les taux américains montent mais le dollar baisse
"Bien souvent, lorsque les rendements (obligataires, ndlr) augmentent, cela signifie que cela rend une monnaie plus attrayante", rappelle Steve Sosnick, d'Interactive Brokers, les taux obligataires évoluant en sens opposé de leur prix.
"Or, dans le même temps, le dollar s'effondre", ce qui n'est pas un signal encourageant pour les Etats-Unis, ajoute l'analyste.
Un temps propulsé par l'élection à la Maison Blanche de Donald Trump, le billet vert a perdu plus de 8% depuis l'investiture du président américain et plus de 2% lors de la seule séance jeudi, des variations très violentes à l'échelle de ce marché.
La devise américaine souffre alors que "la crédibilité de la politique américaine s'amenuise (et) le risque de stagflation (soit une inflation forte conjuguée à une croissance faible, ndlr) augmente aux États-Unis", estime auprès de l'AFP Elias Haddad, de Brown Brothers Harriman (BBH).
Selon l'analyste, ces deux facteurs "ne sont pas près de s'atténuer" et le dollar est en conséquence "confronté à un risque supplémentaire de baisse".
"Je ne pense pas que la perte de confiance soit réversible", prévient Will Compernolle, de FHN Financial.
Selon lui, si cela ne devrait pas remettre en question la place de la devise américaine en tant que "monnaie mondiale de facto" face à l'absence d'alternative crédible, "il y aura des cicatrices".
Le billet vert, habituellement considéré comme une valeur refuge, a "certainement pris une pause par rapport à (ce) statut", juge Steve Sosnick.
Les actions souffrent mais évitent la débâcle
De son côté, Wall Street est nettement chahutée par les politiques commerciales et économiques de Donald Trump, et ses incessants revirements.
Les indices boursiers américains de référence avaient plongé lors des deux derniers jours de la semaine précédente, de près de 12% pour le Nasdaq et de près de 10% pour le Dow Jones, après l'annonce mercredi soir de droits de douane substantiels. Puis ils ont rebondi en partie, mais en montagnes russes, affichant sur la semaine presque écoulée +5,08% pour le Dow Jones et +7,16% pour le Nasdaq vendredi vers 18H GMT.
Les investisseurs conservent en quelque sorte un "optimisme prudent" avec l'idée "que le paysage politique actuel n'est pas définitif", relève Will Compernolle.
Ils jugent qu'il "est impossible que la Chine et les États-Unis puissent imposer des droits de douane aussi élevés l'un à l'autre pendant très longtemps, car il s'agirait d'une autodestruction mutuelle assurée", estime l'analyste.
Donald Trump, a concentré ses foudres sur la Chine et porté les taxes douanières à 145%. En réaction, Pékin a relevé à 125% de ses surtaxes douanières sur les produits venus des États-Unis.
Pour autant, il y a encore peu de "données économiques concrètes qui indiquent un ralentissement" économique, rappelle M. Compernolle.
L'essentiel des inquiétudes se traduit jusqu'à présent par des anticipations fortement dégradées de plusieurs acteurs économiques clé, y compris du président de la banque centrale américaine (Fed), et un plongeon de la confiance des consommateurs.
"Il se pourrait qu'une fois que nous aurons des preuves concrètes que ce pessimisme se traduit" par des changements économiques réels, "le marché boursier se corrige enfin de manière significative à la baisse", anticipe Will Compernolle.
B.Bernard--PS